
Le représentant de l’Artsakh en France, Hovhannès Guevorkian a accepté de répondre aux questions de Haïastan. Il revient sur la situation économique et sociale du pays, ainsi que sur la nécessité de reconnaitre cet Etat. Il se lance prochainement dans une campagne de sensibilisation, à destination non seulement de la jeunesse de la diaspora, mais à l’ensemble des citoyens français.
Comment peut-on décrire la situation actuelle de l’Artsakh, sur le plan économique, social et au niveau des infrastructures?
La situation économique et sociale de l’Artsakh est plutôt bonne au regard des standards régionaux. Certes, la richesse nationale reste modeste mais l’économie connaît une croissance soutenue de presque 10% par an tirée beaucoup par le bâtiment – reconstruction oblige – par l’agriculture car le pays reste essentiellement agricole et par l’industrie. Ces bons résultats permettent d’une part de diminuer année après année la dépendance économique envers l’Arménie mais ils permettent aussi une certaine redistribution sociale qui a fait reculer la pauvreté. Concernant les infrastructures, il faut absolument que nous poursuivions l’effort engagé qui permettra de désenclaver le pays et de le rendre attractif. Nous avons tous en tête la route nord qui constitue une alternative plus courte à la route de Goris mais au-delà, il faut pourvoir le pays de structures et de services qui accroissent son attractivité et favorisent son développement.
Sur le plan politique, quelles sont les conséquences de la réforme constitutionnelle de février 2017 ? Outre le changement de nom officiel du pays, quels sont les avantages du passage à un régime présidentiel? Quels peuvent en être les inconvénients ? Qu’est-ce qui a motivé ce passage à un régime présidentiel ?
Les motivations de cette réforme ont été diverses. Outre le changement de nom que vous évoquez, il y avait certaines dispositions techniques relatives à une meilleure protection des libertés fondamentales. Mais je crois que la raison principale a été le souci d’avoir des circuits de décisions plus courts dans le cadre de possibles crises sécuritaires telles que nous en avons connues en avril 2016 avec l’agression azerbaïdjanaise. Évidemment, on y gagne en rapidité ce qu’on peut y perdre en pondération dans la prise de décision. Dans les circonstances actuelles, c’est l’urgence qui a semblé prioritaire.
Comment décririez-vous les relations entre l’Artsakh et la diaspora. Sentez-vous une implication suffisante des organisations de la diaspora dans le soutien que celle-ci doit apporter à l’Artsakh? Qu’attendez-vous des Arméniens de France?
Les relations entre l’Artsakh et la diaspora sont évidemment bonnes mais à mon avis insuffisantes. Un seul exemple : sur les centaines de milliers d’Arméniens de diaspora qui se rendent en Arménie, une infime minorité se déplace jusqu’en Artsakh. C’est sans doute un problème de coût et de temps mais pas seulement : hors des phases de crise où la diaspora montre une solidarité sans faille, la réalité de l’Artsakh est perçue par une frange importante de la diaspora comme lointaine et déconnectée des questions de la Cause arménienne. Or, c’est faux : l’Artsakh – sa pérennité et son développement – constituent aujourd’hui l’avant-garde de cette Cause.
Depuis la victoire de Chouchi, c’est la première fois que l’arménité relève la tête. La diaspora doit contribuer plus activement à la sanctuarisation de l’Artsakh et, pour cela, elle doit mieux le connaître. Depuis quelques temps, nous avons entrepris de vulgariser la connaissance de l’Artsakh par la diaspora mais j’appelle ici tout un chacun à se rendre sur place. C’est important pour l’Artsakh mais aussi important pour la Diaspora de bien sentir ce qui se joue là-bas.
S’agissant de vos relations avec la classe politique française, sont-elles bonnes? Êtes-vous suffisamment écoutés, soutenus, reçus par les autorités françaises? La mise en place de la représentation du Haut-Karabagh a-t-elle permis de sensibiliser les politiques français sur la question de l’Artsakh ?
Les relations que nous avons avec la classe politique française sont plus que bonnes : elles sont exceptionnelles et inégalées dans le monde. Ceci est dû à plusieurs facteurs : d’une part, les Français sont arménophiles et leurs responsables politiques ont été sensibilisés à la question de l’Artsakh par la diaspora. D’autre part, l’Artsakh a initié une politique de rapprochement avec la France et, plus largement, avec l’espace de la francophonie perçue comme vecteur d’émancipation politique.
D’un point de vue pratique, nos contacts avec l’exécutif français restent limités car notre République n’est pas encore officiellement reconnue mais nous bénéficions néanmoins d’une certaine bienveillance des autorités. Nous avons ainsi pu développer des liens forts et structurants à travers le Cercle d’Amitié France-Artsakh et des Chartes d’Amitié signées par sept villes françaises. D’autres sont en préparation. Ce qui est important, surtout, c’est que ces Chartes ne constituent pas de simples décorums mais vont permettre d’établir de véritables projets de développement. Le soutien que nous apportent ces parlementaires et ces municipalités est donc de nature concrète et non simplement déclaratoire.
Sur le plan diplomatique, Erevan a régulièrement menacé Bakou de reconnaitre l’Artsakh. Que pourrait apporter une telle reconnaissance? Peut-on estimer que cette non-reconnaissance est un paradoxe? Sommes-nous légitimes, en diaspora, à réclamer la reconnaissance internationale de l’Etat d’Artsakh, alors que l’Arménie ne franchit pas le cap?
Je pense que sur ces questions, il ne faut pas être dogmatique mais pragmatique. La reconnaissance internationale est un objectif officiel de la République d’Artsakh. Elle consacrerait une réalité de plus de deux décennies qui – permettez-moi de le souligner – est conforme au droit international. En ce sens, nous accueillons favorablement toute voix qui demande cette reconnaissance et notamment celles venues de diaspora. La diaspora n’est pas un acteur étatique mais elle est parfaitement légitime à s’exprimer et il ne faut pas mésestimer son poids sur des acteurs étatiques de premier plan, France, Etats-Unis et même Russie.
Une telle reconnaissance aurait évidemment des conséquences majeures : en permettant l’établissement de relations diplomatiques officielles, elle faciliterait grandement le développement économique et social de notre pays et son intégration dans la communauté internationale.
Les raisons pour lesquelles l’Arménie ne reconnaît l’Artsakh sont connues : il s’agit de ne pas encourager les velléités belliqueuses de Bakou et de préserver un espace de négociations.
Considérez-vous que la résolution du conflit du Haut-Karabagh soit un préalable à la question de la reconnaissance de l’Etat ?
Non pas du tout. La reconnaissance est un élément de la résolution du conflit. On ne peut envisager que le conflit soit résolu si l’Artsakh n’est pas reconnu. C’est un point non négociable.
Quel regard portez-vous sur le groupe de Minsk et le rôle de la France en son sein?
Le grand public fait souvent une confusion sur le groupe de Minsk : ces médiateurs sont bien en charge d’assister les parties prenantes à trouver une issue pacifique au conflit et non pas à imposer cette solution. Leur assistance et leur expertise sont néanmoins cruciales – tout comme celles de l’OSCE de manière plus générale – mais leur impact est nécessairement limité. Ils ne peuvent faire la paix à notre place.
Dans ce cadre, le rôle des trois pays qui coprésident le groupe de Minsk est généralement bien plus équilibré qu’on ne le pense. Il n’y a pas de pro-arméniens et de pro-azéris. Je crois que tous, y compris la France, recherchent une solution équilibrée et sont tout comme nous d’abord attachés au retour de la paix et de la sécurité régionale.
Quel bilan faites-vous de François Hollande sur sa politique pour l’Artsakh? Que peut-on attendre d’Emmanuel Macron?
D’une manière générale, je m’abstiens de commenter la politique de la France. Globalement, on peut dire que l’action de l’exécutif en direction de l’Artsakh est nécessairement limitée du fait que notre Etat n’est pas reconnu. Que la France finisse par le reconnaître est une décision qui lui appartient et qui aurait, comme je l’ai dit, des conséquences majeures et positives sur le développement de notre pays.
Le peuple d’Artsakh n’est pas prêt à réaliser de concession territoriale. La position de l’Arménie sera-t-elle toujours alignée sur celle du peuple de l’Artsakh dans le processus de négociations ?
Une négociation se mène à deux et doit avoir un objet. L’Artsakh a répété à plusieurs reprises qu’il était prêt à entamer des discussions avec Bakou. Tant que l’Azerbaïdjan ne souhaitera pas la paix, c’est-à-dire tant qu’il n’aura pas accepté le droit à l’indépendance politique de la République d’Artsakh, les compromis – leur nature, leur ampleur – n’ont pas lieu d’être discuté. La négociation ne commence qu’entre ceux qui ont décidé de faire la paix.
Pensez-vous que la jeunesse arménienne de la diaspora est suffisamment impliquée dans la question de l’Artsakh?
Je vous remercie d’aborder cette question cruciale à laquelle je répondrai clairement non. Mais il ne s’agit certainement pas de faire le procès de la jeunesse arménienne de diaspora. Pour des raisons historiques, l’Artsakh n’est pas dans l’ADN de la diaspora. Mon pays et moi-même devons sans cesse faire plus pour que cette jeunesse connaisse et comprenne mieux la réalité de l’Artsakh et les enjeux qui l’entourent.
A ce sujet, permettez-vous de vous annoncer qu’en octobre prochain, nous organiserons, avec les municipalités ayant signé des Chartes d’Amitié, « Les Journées d’Artsakh en France ». L’objectif de ces journées dont le slogan « Artsakh, j’écris ton nom » est dérivé du célèbre de Paul Eluard, est précisément de mieux faire connaître la réalité de l’Artsakh, non seulement à la jeunesse de diaspora mais à l’ensemble des citoyens français. Les organisations de jeunesse peuvent avoir un rôle moteur en conférant à ces journées une ampleur et un dynamisme inégalé. C’est pourquoi je leur lance ce message et les invite plus que jamais à se rapprocher de notre Représentation.
Propos recueillis pas SH
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