L’Eglise Arménienne, une institution au-delà du spirituel

Le 5 décembre dernier, Aram Ier, Catholicos de la Grande Maison de Cilicie, annonçait dans un discours devant la presse son intention de demander à la Cour Européenne des Droits de l’Homme la restitution du siège historique du Catholicossat de Cilicie à Sis, spolié par la Turquie.

Cette action en justice est la première par son ampleur et sa portée hautement symbolique contre la Turquie depuis le Génocide de 1915.  Au-delà d’un travail remarquable mené par des juristes, historiens et avocats, le constat est sans appel : l’Église arménienne prend les devants et assigne l’État turc en justice, un exemple pour les organisations, associations et mouvements arméniens du monde.

Nous assistons, depuis le centenaire à un tournant dans l’histoire des revendications liées au génocide des Arméniens : l’importance de l’Église Arménienne est mise en avant, non pas pour son rôle de diffusion du culte chrétien et de la langue, mais pour porter le flambeau des revendications de notre peuple.

Une étude poussée de l’histoire du Clergé Arménien démontrerait que celui-ci a toujours joué un rôle politique déterminant pour son peuple ; il est par ailleurs un témoin pluriséculaire de la condition arménienne sur le haut plateau arménien et dans le Caucase.

Rappelons qu’en 301, le Royaume d’Arménie est le premier à adopter le Christianisme comme religion d’État. Dès lors, l’Église va jouer un rôle primordial dans le développement culturel et social du peuple arménien. Les Arméniens du monde entier sont attachés à leur religion et se sont battus pour garder leur foi. L’histoire retiendra la bataille d’Avarayr, où le peuple arménien, guidé par Vartan Mamigonian, assure son indépendance religieuse malgré la défaite militaire contre les Perses. Aujourd’hui, l’Etat arménien a adopté le principe de laïcité. Pour autant, la Constitution de la République d’Arménie, dès son adoption en 1995, fait référence à l’église :

Article 8 de la Constitution de la République d’Arménie, rédaction 1995 :

En République d’Arménie l’Eglise est séparée de l’Etat.

La République d’Arménie reconnaît la Sainte Eglise apostolique arménienne pour sa mission exceptionnelle d’Eglise nationale dans la vie spirituelle du peuple arménien, son rôle dans le développement de la culture nationale et la préservation de l’identité nationale.

La République d’Arménie garantit la liberté d’exercice de toutes les organisations religieuses qui fonctionnent conformément aux règles établies par la loi.

Un triple Catholicossat

Au cinquième siècle après Jésus-Christ, le Catholicossat opère son premier déplacement et quitte Etchmiadzin pour s’installer à Dvin, alors capitale du Royaume d’Arménie. Le siège du Catholicossat sera par la suite régulièrement déplacé, au gré des invasions Sekdjouks et Mongoles.

Il arrive en 1116 en Cilicie puis s’installe officiellement en 1292 dans la capitale, Sis. La fin du Royaume de Cilicie en 1375 n’entraine pas le Catholicossat dans sa chute. Son siège restera à Sis, jusqu’à ce que soit décidé son retour à Etchmiadzine en 1441.

Ce retour au siège originel fit l’objet de tensions internes à l’église. La ville de Sis, dépourvue du Catholicossat de tous les Arméniens, participa à la création d’un nouveau, celui de la Grande Maison de Cilicie, dont la juridiction se cantonnera aux églises arméniennes de Chypre, Grèce et du proche-orient. Ainsi, dès 1441, coexistent les deux Catholicossats, auxquels nous pouvons ajouter un troisième plus méconnu, celui d’Aghtamar.

Ci-dessous, une carte montrant les différents sièges du Catholicossat de tous les Arméniens (Bleu) ainsi que ceux de la Grande Maison de Cilicie (Orange). Cette carte n’a pas la prétention de lister de manière exhaustive les sièges du Catholicossat. Elle a été réalisée sur la base de sources concordantes, et a pour but de montrer le rôle de témoin de l’Eglise arménienne dans l’histoire pluriséculaire de notre peuple, dans une logique géographique. Ajoutons que le troisième Catholicossat, celui d’Aghtamar, est représenté par un repère violet. . Ce Catholicossat, indépendant des deux autres, avait une juridiction qui se limitait à deux diocèses. Il disparut en 1895.

POUR PLUS DE DETAILS, CLIQUER SUR LES REPERES DE LA CARTE

Suite aux massacres de la fin du 19ème siècle et au Génocide des arméniens, le Catholicossat de la Grande Maison de Cilicie, s’est réfugié à Antelias au Liban, en 1930. Il gère aujourd’hui la majorité des églises arméniennes du Moyen Orient, ainsi que certains diocèses du continent américain. Les communautés arméniennes d’Istanbul et de Jérusalem sont gérées par des patriarcats respectifs autonomes. Pour autant, le Catholicossat de tous les Arméniens (Etchmiadzin) bénéficie d’une primauté d’honneur et constitue le siège auquel sont rattachées la plupart des églises apostoliques arméniennes du monde.

Eloigné du cœur historique de l’Arménie, l’Église a su s’adapter pour suivre les Arméniens loin de leurs terres. Elle joue toujours ce rôle prépondérant là où les rescapés du Génocide se sont installés pour fuir l’horreur des massacres, notamment en France.

Les églises arméniennes en France

L’importance de la religion chrétienne pour les arméniens de France, issus des différentes vagues d’immigration se caractérise par un nombre important de lieux de cultes : 38 églises dans les différentes villes ou communes peuplées fortement d’arméniens (notamment Paris, Marseille, Lyon, Valence). Ces églises sont Apostoliques principalement (21 en tout), Evangéliques/Protestantes (10) et Catholiques (7).

Ces lieux de cultes, tout comme les écoles bilingues franco-arméniennes et nos clubs de sports (articles Haïastan du 10 septembre et du 1er décembre), constituent une puissance incontestable de rassemblement et d’éducation. Les fidèles se réunissent régulièrement, y développent la langue arménienne et leur croyance ainsi que les valeurs chrétiennes communes à tous les Arméniens.

Cependant, dans un monde où l’athéisme est de rigueur, les églises arméniennes de France doivent relever le défi de la baisse de fréquentation. Les fidèles sont moins nombreux lors des messes dominicales, certains ne s’y rendent plus que pour les fêtes telles que Noël ou Pâques.

Hovik Yagbasan, Norseroundagan et fidèle des églises apostoliques de Marseille nous livre un témoignage : « J’ai grandi dans une famille très croyante, la vie de famille tournait et tourne toujours autour de l’Église. Tous les dimanches matin nous nous rendons à la messe. Mes parents, mes grands-parents et leurs parents avant eux se sont battus au cours des années pour garder cette foi. C’est un héritage magnifique que je transmettrai moi-même à mes enfants. »

 L’Eglise arménienne, témoin de notre histoire

L’Église arménienne est bien plus qu’une simple église : elle joue à la fois un rôle fédérateur de la communauté, dans quel pays que ce soit, mais aussi un rôle de préservateur et de diffuseur de la langue et des traditions.

Elle constitue enfin et surtout, l’espoir des arméniens, le lieu où tous se réunissent autour d’une seule et unique cause, sans couleur politique aucune.

Le rôle de l’église arménienne dépasse le cadre spirituel. Preuve en est Khrimian Hayrig, patriarche arménien de Constantinople puis Catholicos de 1892 à 1907 et qui fut surtout l’un des instigateurs du mouvement politique arménien, une lutte qui se perpétue de nos jours.

Varenag
SH