Krikor Zohrab, né le 26 juin 1861 à Beşiktaş (Empire ottoman) et mort le 2 août 1915 à Urfa (Empire ottoman), est une figure marquante de la littérature arménienne moderne, un avocat renommé, un homme politique engagé et un intellectuel respecté de son époque. Né à Constantinople, au sein d’une famille arménienne aisée, il grandit dans un environnement propice à l’éducation et à l’épanouissement intellectuel. Zohrab s’est imposé comme l’une des voix les plus influentes de la communauté arménienne ottomane, tant par ses contributions littéraires que par son activisme politique.
Outre sa carrière littéraire prolifique, il siège au Parlement ottoman en tant que député arménien, où il devient le porte-parole des droits de l’homme, de la justice et de la défense des droits des Arméniens dans l’Empire. Son esprit réformiste, combiné à son éloquence, lui permet de s’élever au rang d’intellectuel respecté dans les cercles arméniens et ottomans. Malheureusement, sa vie s’achève tragiquement en 1915, lors du génocide arménien. Arrêté sur ordre du gouvernement ottoman, il est déporté et assassiné par un haut-fonctionnaire ottoman, Çerkez Ahmed, sur la route de Diyarbakır dans la gorge de Seytan deresi. Krikor Zohrab devient ainsi une victime emblématique de la répression exercée contre les élites arméniennes et l’une des premières victimes du génocide des Arméniens.
Zohrab reçoit une éducation de qualité dans les meilleures institutions arméniennes et ottomanes de Constantinople. Très tôt, il montre une grande aptitude pour les lettres et les sciences sociales. Après des études secondaires rigoureuses, il s’oriente vers le droit, une discipline dans laquelle il excelle rapidement. Il devient l’un des premiers Arméniens à occuper une position éminente en tant qu’avocat au sein du système judiciaire ottoman.
Sa carrière juridique est brillante : il plaide dans des affaires complexes et sensibles, où sa rigueur et sa maîtrise des lois impressionnent aussi bien ses contemporains que ses adversaires. Parallèlement, il développe une passion pour l’écriture et le journalisme. Il collabore avec de nombreux journaux arméniens influents de l’époque, où il publie des essais, des articles politiques et des récits littéraires. Cette double carrière d’avocat et d’écrivain reflète son engagement intellectuel et son désir d’œuvrer à la fois dans les sphères sociale et artistique.
Krikor Zohrab est surtout connu pour ses nouvelles, qui occupent une place centrale dans son héritage littéraire. Ses œuvres les plus célèbres, comme celles regroupées dans les ouvrages Voix de conscience (1909) « Խղճմտանքի ձայներ » et une génération disparue (1924) « Անհետացած սերունդ մը », se caractérisent par un réalisme poignant et une profonde empathie pour ses personnages. Il adopte un style d’écriture influencé par le courant réaliste européen, notamment par des écrivains comme Guy de Maupassant et Émile Zola, qu’il admirait.
Les thèmes centraux de son œuvre explorent les conflits moraux, les injustices sociales et les complexités des relations humaines. À travers ses récits, il peint un tableau précis et parfois sombre des tensions qui traversaient la société ottomane de son temps. Les personnages de Zohrab sont souvent des individus ordinaires confrontés à des dilemmes universels, mais enracinés dans des réalités culturelles et sociales spécifiques. Il excellait dans l’art de décrire les émotions humaines avec subtilité et profondeur, tout en abordant des questions sociales et politiques complexes.
Au-delà de ses qualités stylistiques, les écrits de Zohrab reflètent son engagement pour la justice et l’égalité. Il dénonçait les abus de pouvoir, les préjugés et les inégalités sociales avec une plume incisive mais empreinte d’humanisme. Ses récits étaient souvent imprégnés d’un ton critique envers les injustices dont il était témoin, et ils servaient de miroir à une époque en pleine mutation.
Grâce à son style clair, ses descriptions évocatrices et son analyse fine des comportements humains, Zohrab s’est imposé comme un maître de la nouvelle arménienne et un précurseur du réalisme dans la littérature arménienne moderne. Son œuvre continue de résonner, non seulement pour sa valeur littéraire, mais aussi pour son témoignage poignant sur les luttes et les aspirations d’une époque troublée.