Edito : Arménie, un chemin long et sinueux

En proclamant son indépendance, le 28 mai 1918, l’Arménie a mis fin à sept siècles d’absence de souveraineté. Cette première république, fondée au lendemain du Génocide, n’a duré que deux ans. La soviétisation de l’Arménie, pendant 70 ans, a mis le pays en hibernation. L’implosion du régime communiste en 1991 a précipité un réveil extrêmement violent pour Erevan. Le jeune Etat a dû faire face à la pauvreté, à la guerre du Karabagh et à la reconstruction de la région de Spitak touchée par un séisme.

L’Arménie de 1991 n’est donc que la continuation de la République proclamée en 1918. Cent ans après l’étatisation de l’Arménie, le pays semble commencer à s’affirmer diplomatiquement. En témoigne, la dénonciation des protocoles arméno-turcs par le président Serge Sarkissian le 1er mars 2018. L’Arménie s’est enfin décidée à taper du poing sur la table et à renier des textes désavantageux pour elle. Mieux vaut tard que jamais ! Serge Sarkissian semble également être passé à l’offensive sur le dossier du Haut-Karabagh. Ses interventions publiques au sein des institutions européennes ont montré la détermination d’Erevan. Des prises de position essentielles, alors que l’opposition arménienne dénonçait le laxisme du gouvernement et son intention de restituer des terres à Bakou, ce qui serait inacceptable.

Ce réveil diplomatique peut être analysé comme une volonté du gouvernement arménien de regarder sur le long terme, pour le bien être de la Nation arménienne. Mais ne nous y trompons pas, le jeu politique y est aussi pour quelque chose. Le gouvernement souhaite contenir l’opinion publique, catégoriquement opposée au « troisième mandat » de Serge Sarkissian, en tant que Premier ministre cette fois-ci. Il faut dire que le bilan du chef de l’Etat sortant est déplorable. Le chômage est passé de 16 à 18% pendant son mandat. Le taux de pauvreté s’élève à 30% et l’émigration massive persiste : 260 000 personnes ont quitté le pays durant ces dix dernières années. Mais le parti républicain au pouvoir entend tout de même reconduire Serge Sarkissian, à la tête du pays. Ce nouveau « mandat » nous rappelle que la démocratie pleine et entière peine à s’imposer en Arménie et que le pays est gangréné par une corruption structurelle, héritée de l’époque soviétique. Pour autant, l’État a envoyé un signal positif en signant un accord de partenariat renforcé avec l’Union européenne. Le texte, inédit, prévoit un rapprochement progressif entre Erevan et Bruxelles, qui s’engage à contribuer au renforcement de la démocratie et de l’Etat de droit en Arménie. Il incombe donc au gouvernement arménien d’appliquer ces principes pour espérer approfondir ses liens avec l’Europe, mais également pour atténuer son enclavement géographique. L’organisation du 17ème sommet de la Francophonie en octobre 2018 concourt à cette stratégie. Pour l’occasion, des délégations du monde entier visiteront l’Arménie. L’Etat espère étoffer son carnet d’adresse et attirer des investissements étrangers, nécessaires au dynamisme économique du pays.

L’Arménie a des atouts à faire valoir, au premier rang desquels le centre Tumo, qui va s’exporter prochainement à Paris. Sa diaspora, précieuse, tend à augmenter ses investissements dans le pays. Le tourisme est également un secteur en constante croissance. Cette stratégie d’ouverture au monde ne peut être que bénéfique. L’émancipation pleine et entière de l’Arménie sera longue. Le contexte géopolitique n’étant pas en sa faveur, l’Arménie doit redoubler d’efforts par rapport à ses voisins. Un chemin long et sinueux attend les Arméniens pour consolider cette République.

 

S.H.